Priorité au salut de l’âme

C’est le 9 octobre, il y a un mois, que le Pape Léon a publié sa 1ère Exhortation apostolique, Dilexi te, « Je t’ai aimé » (Ap 3, 9), sur l’amour des pauvres. Il l’a signée le 4 octobre jour de la saint François d’Assise, le ‘petit pauvre’, en hommage au Pape François qui avait voulu et commencé l’écriture de cette Lettre : le Pape Léon l’a terminée et l’a signée comme le Pape François avait terminé et signé le 29 juin 2013 l’Encyclique Lumen Fidei sur la Lumière de la Foi voulue et commencée par le Pape Benoît XVI. 
Cette double signature a dans un cas comme dans l’autre embarrassé certains lecteurs pour qui même les textes pontificaux sont des œuvres personnelles, ne sachant pas qui a écrit quoi. 

« Je t’ai aimé », par cette déclaration d’amour du Livre de l’Apocalypse, le pape veut rappeler à l’Église la mission reçue de son Seigneur : le reconnaître dans les plus pauvres. Et plus fondamentalement, pourrait-on ajouter, honorer et respecter chaque personne, âme et corps. Les pauvres sont tous ceux qui sont exclus d’une façon ou une autre, y compris physiquement. « En entrant dans ce monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps » (He 10, 5).

Dans l’évangile de la fête ce dimanche de la Basilique de saint Jean de Latran, Jésus chasse les vendeurs du Temple, leur reprochant moins d’avoir fait de la maison de son Père une ‘maison de commerce’ qu’une maison de trafics, de marchandages et de discriminations car ce n’est pas tant la vente d’offrandes qui est en jeu que le traitement différencié des personnes suivant leur situation sociale : tout le Temple de Jérusalem était bâti sur ces séparations entre hommes et femmes, entre Juifs et Païens, entre riches et pauvres. 

Les exigences de l’Evangile visent moins à l’équité par la redistribution de biens éphémères qu’à l’unité des croyants dans l’Esprit-Saint. « Ceux qui étaient devenus croyants avaient un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32).

A la suite des évangiles, le Livre des Actes des Apôtres raconte la venue des apôtres Pierre et Jean au Temple alors qu’on venait d’y amener « un homme, infirme de naissance, que l’on installait chaque jour à la porte du Temple, appelée la Belle-Porte, pour qu’il demande l’aumône à ceux qui entraient. Voyant Pierre et Jean qui allaient entrer dans le Temple, il leur demanda l’aumône » (Ac 3, 3). Le Pape Léon consacre les six derniers paragraphes de sa Lettre (nn. 115 à 121) à l’aumône « qui n’a pas bonne réputation aujourd’hui, souvent même parmi les croyants », « rarement pratiquée, parfois même méprisée ». 

Il s’empresse de rappeler que « l’aide la plus importante à une personne pauvre consiste à l’aider à trouver un bon travail, afin qu’elle puisse gagner sa vie de manière plus conforme à sa dignité en développant ses capacités et en offrant ses efforts personnels » : 
« le manque de travail c’est beaucoup plus que le manque d’une source de revenus pour vivre (…) c’est « une participation à la création qui continue chaque jour, grâce aux mains, à l’esprit et au cœur des travailleurs ». 
Pour autant, « nous ne devons pas courir le risque de laisser une personne abandonnée à son sort, sans ce qui est indispensable pour vivre dignement ». 
L’aumône « invite au moins à s’arrêter et à regarder la personne pauvre en face, à la toucher et à partager avec elle quelque chose de soi-même ».

Dans les écrits de sagesse les plus récents de l’Ancien Testament, l’aumône est appelée justice (tsedaka qui vient de la racine tsedek comme dans Melchisédek roi de justice cf. Daniel 4, 24 et Siracide 3, 30 ; 7,10 ; 12, 3 ; 40, 17.24) même si ces textes sont très réservés sur la mendicité : « Mon fils, ne vis pas de mendicité, mieux vaut mourir que mendier ! » (Siracide 40, 28).
On nous demande souvent s’il faut donner aux personnes qui mendient ? Quand on le peut, Oui bien sûr ! La question n’est pas de savoir si elles en feront bon usage : comme nous des grâces de Dieu !

Devant le boiteux de la Belle-Porte, Pierre commence par fixer les yeux sur lui, le regarder en face, avant de lui dire : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas. Mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche » (Ac 3, 6). Lève-toi, le verbe en latin a donné Résurrection.

Ce sont les dernières lignes de la Lettre : « Que ce soit par votre travail, votre lutte pour changer les structures sociales injustes, ou encore par ce geste d’aide simple, très personnel et proche, il sera possible pour ce pauvre de sentir que les paroles de Jésus s’adressent à lui : « Je t’ai aimé » (Ap 3, 9) ».

On peut toujours discuter de la pauvreté matérielle de Jésus : avant d’entreprendre son ministère, il était un ‘artisan’ à son compte, avec son père, non un ouvrier salarié soumis à l’arbitraire d’un employeur de l’époque. Dans son ministère itinérant, il acceptait l’hospitalité qui lui était offerte ; le titre de ‘rabbi’ attestait du prestige dont il bénéficiait. Si richesse et salut apparaissent à bien des égards incompatibles, c’est devant la vie éternelle, et il est significatif que la traduction grecque des Septante de la Bible a transformé le commandement du Deutéronome : « Qu’il n’y ait pas de pauvres chez toi » (Dt 15, 4), et s’il s’en trouve, « tu n’endurciras pas ton cœur, tu ne fermeras pas la main à ton frère malheureux » (Dt 15, 7) en promesse messianique : il n’y aura pas (il n’y aura plus) d’indigent chez toi.

Le message de l’Evangile s’adresse à toute personne, à tout homme et à tout l’homme, âme et corps, en donnant la priorité au salut de l’âme : le sanctuaire dont Jésus parlait, c’était son corps.

Saint Thomas d’Aquin disait : « Je dois préférer le bien spirituel du prochain à mon bien corporel, mais je dois préférer mon bien spirituel au bien corporel du prochain ».

Que l’Esprit-Saint nous éclaire à trouver ce bien dans le Corps du Christ qu’est l’Eglise. 

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