Connais-toi toi-même

Les pharisiens étaient des jansénistes avant la lettre. De l’adjectif ‘Janséniste’, le dictionnaire donne cette définition pour son emploi moderne : « de sévérité rigide, de vertu austère ». Le janséniste est pharisien : il en a bien des traits en commun, à commencer par l’intransigeance, une intolérance et une ingérence dans la conscience d’autrui.

L’intransigeance n’est pas chrétienne. Le Christ Jésus est doux et humble de cœur. 

Le janséniste, comme le pharisien, est élitiste. On appelait Crucifix jansénistes ces crucifix où le Christ a les bras relevés à la verticale pour symboliser le petit nombre des élus.

Le Jansénisme a marqué à partir du 17ème siècle le Catholicisme en France même s’il est très difficile de le définir de façon précise. Gustave Flaubert s’en moquait dans son Dictionnaire des idées reçues : « Jansénisme : on ne sait pas ce que c’est, mais il est chic d’en parler ».

C’est un mouvement fermé sur lui-même, et on ne s’étonnera pas que les jésuites s’y soient opposés, qui y voyaient peut-être leur propre chemin de conversion. 

Les jansénistes étaient étroits et n’avaient pas d’autre référence que saint Augustin, ignorant tant d’autres saints auteurs après lui, saint Bernard pour prendre ce seul exemple du ‘Docteur melliflue’, plein de miel, de modération et de douceur. 

Ils n’avaient donc pas lu dans l’Ecriture : « Si quelqu’un observe intégralement la loi (la loi de l’amour), sauf en un seul point sur lequel il trébuche, le voilà coupable par rapport à l’ensemble » (Jc 2, 10) ?

Le janséniste est doloriste : il croit à la souffrance rédemptrice, qui fait partie de la foi chrétienne mais n’est pas à dire à quelqu’un qui souffre. La personne qui souffre a besoin de compassion, de soutien et de consolation. C’est un des enseignements du Livre de Job dont les amis cherchent à justifier l’épreuve au lieu de pleurer avec lui. Pleurez avec ceux qui pleurent dit saint Paul (Rm 12, 15), réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie. 

Il y a de la joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui se convertit (cf. Lc 15, 10), qui s’en remet comme ce publicain à la Miséricorde de Dieu. Peut-être pleurait-il ses péchés ? Les Pères du désert disent que « celui qui prie avec des larmes est semblable à qui tient les pieds du roi ».

Le texte ne dit pas si ce publicain en rentrant chez lui avait changé de vie. Cependant, parce qu’il s’était reconnu pécheur, parce qu’il s’était humilié devant Dieu, « c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre ». 

C’est trop facile ?

Eh bien faites-le. 

Nous avons entendu il y a deux dimanches l’histoire de la guérison de la lèpre du général Naaman : il s’était mis en colère quand le prophète Elisée lui avait fait dire de se baigner sept fois dans le Jourdain, avait pensé repartir mais ses serviteurs étaient intervenus : « Si le prophète t’avait ordonné quelque chose de difficile, tu l’aurais fait, n’est-ce pas ? Combien plus, lorsqu’il te dit : “Baigne-toi, et tu seras purifié.” » (2 R 5, 13).

Combien de fois faut-il se reconnaître pécheur ? Jusqu’à sept fois ? « Je ne te dis pas sept fois mais soixante-dix-fois sept fois » dit Jésus (Mt 18, 22) : autant de fois qu’il le faudra, et il en va de même pour la venue de ce publicain au Temple et de nous à la messe. « C’est par votre persévérance que vous sauverez votre vie » (Lc 21, 19).

Vous connaissez l’histoire du gros billet de banque et de la petite pièce de monnaie qui meurent et arrivent au Ciel : le gros billet de banque s’indigne d’être moins bien traité que la petite pièce de monnaie. ‘Toi, lui dit-on, on ne t’a pas beaucoup vu à la messe’.

Pharisiens et publicains aimaient l’argent. Les pharisiens étaient en plus d’insupportables moralistes, les publicains d’impitoyables usuriers mais ils étaient moins prétentieux que les pharisiens et davantage capables de conversion, comme le montre dans la suite de l’évangile l’histoire de Zachée (qui aurait dû être l’évangile de dimanche prochain mais que nous n’aurons pas parce que ce sera le 2 novembre, la Commémoration des fidèles défunts). Comment Zachée chef de publicains est-il « devenu un homme juste » ? En accueillant Jésus chez lui.
Souvenez-vous à quel point il est devenu soudainement, divinement généreux: « Seigneur, je vais donner aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus » (Lc 19, 8), alors que Jésus ne lui demandait rien.

C’est à partir du 17ème siècle que la notion de générosité est apparue, prenant la place de la magnanimité, et on le doit à deux auteurs en particulier, le philosophe René Descartes († 1650) dans son Traité des Passions, et saint François de Sales († 1622). Les deux s’accordent pour lier générosité et humilité, mais pour saint François de Sales la générosité en est le fruit, tandis que pour Descartes la générosité y conduit. 

Pour Descartes, la générosité est moins une vertu qui s’acquiert qu’un trait de caractère : en cela il est plus moderne et moins chrétien. Cette différence entre ces deux grands esprits n’a d’intérêt que dans la façon dont ils s’accordent également pour lier générosité et humilité à une 3ème notion décisive pour cette parabole : la lucidité. 

La lucidité est ce qu’il manque à ce pharisien : ‘Je ne suis pas comme les autres’ ! Eh bien si. 

C’est un triangle vertueux : la lucidité, l’humilité, la générosité. 

Connais-toi toi-même, reconnais-toi pécheur, montre-toi généreux.

Partager cette homélie

Recevez les homélies chaque semaine

Recevoir l'homélie chaque semaine