La vision de Dieu, qui constitue ‘La’ Béatitude par excellence, peut-elle être donnée dès cette vie aux cœurs assez purs pour voir Dieu, « Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu », ou cet état de sainteté suppose-t-il que nous soyons passés avec le Christ par la mort, pour les martyrs par la persécution, et pour tout le monde par bien des épreuves ?
Le Livre des Actes des Apôtres dit que saint Paul et saint Barnabé affermissaient le courage des disciples, les exhortant à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu » (Ac 14, 22).
« Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles et ne dit pas de faux serments » (Ps 23, 3). Les Anciens étaient catégoriques : sans pureté morale, pas possible de voir Dieu. Ce serait comme « espérer que le crapaud s’envole » (sainte Thérèse d’Avila). Pas de sainteté non plus sans vie intérieure, sans une docilité habituelle à l’Esprit-Saint.
Saint Augustin et d’autres estimaient qu’il est possible de voir Dieu en cette vie, dès cette vie, se référant aux exemples de Moïse et de saint Paul qui ont tous deux fait cette expérience proprement mystique de la connaissance de Dieu : Moïse blotti dans le creux d’un rocher (Ex 33, 22 ; cf. Nb 12, 8). Il en fut transfiguré : « Lorsque Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière ».
Saint Paul a connu lui aussi ce ravissement : « emporté jusqu’au troisième ciel –il a entendu des paroles ineffables, qu’un homme ne doit pas redire » (2 Co 12, 2. 4).
D’autant pour saint Paul que cette vision avait été précédée de celle sur le Chemin de Damas et celle de Moïse par le Buisson ardent dont sainte Thérèse d’Avila écrit : « Moïse dut voir, au milieu des épines de ce buisson, de bien grandes choses pour avoir le courage d’entreprendre la délivrance de son Peuple » (Le Château intérieur, 6ème demeure, Chapitre 4).
Les deux se sont mis en marche : chez les Saints et les Saintes, la contemplation et l’action sont inséparables. Elles se soutiennent et se nourrissent, elles s’enrichissent l’une l’autre. Mais elles se succèdent tandis que pour le Christ elles sont simultanées : son action est unie et éclairée en permanence par sa vision du Père.
Aux deux exemples de Moïse et de saint Paul, ajoutons le prophète Isaïe qui a fait dans le Temple l’expérience de la Gloire de Dieu. Lorsque saint Augustin a demandé à l’évêque saint Ambroise quel livre lire de la Bible (Confessions, 9, 5, 13), celui-ci a répondu : Isaïe dont Jésus dit « qu’il avait vu la gloire de Jésus, et c’est de lui qu’il a parlé » (Jn 12, 41).
Le Christ le dit également d’Abraham – « Abraham a vu mon jour et il s’est réjoui » (Jn 8, 56), et il le dit d’Isaïe. Ils sont trois au moins de l’Ancien Testament : Abraham, Moïse, Isaïe, ses Amis. C’est d’ailleurs chez Isaïe que la Sainteté de Dieu est la plus clairement définie, Dieu qu’Isaïe appelle le Saint d’Israël.
Tous les Saints et les Saintes de Dieu ont eu une vie de prière, intérieure, contemplative de l’amour de Dieu, qui a nourri leur action, leur amour des autres.
Ils ou elles n’ont pas tous eu des révélations extraordinaires mais ils et elles ont vécu unies au Christ, « dans le Christ », par la prière et les sacrements.
Cette union a d’abord été celle de leur volonté à la volonté de Dieu, à l’exemple du Christ Jésus avec son Père : « Non pas ma volonté mais la tienne ». Que ta volonté soit faite.
Tous les Saints et Saintes de Dieu ont connu des épreuves, des souffrances, des persécutions, y compris de la part de l’Eglise, comme saint Jean de la Croix jeté en prison par ses frères, sainte Rita méprisée dans son couvent, pour ne pas parler de sainte Jeanne d’Arc condamnée par l’évêque Cauchon, ou de saint Padre Pio interdit pendant des années de célébration de messe et de confession.
Comme le Christ dans sa Passion, ils ont gardé le silence. ‘Tu ne réponds pas ?’.
Juste après la parabole du Bon Samaritain, l’évangile de saint Luc relate la venue de Jésus dans la maison de Marthe. Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, accaparée par les multiples occupations du service, interpelle le Seigneur : ‘Cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider’. Le Seigneur lui répond : ‘Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée’ (Lc 10, 42).
Marthe n’avait pas compris jusque-là que s’il n’y avait pas eu Marie pour l’écouter, Jésus ne serait pas resté.
Il ne s’agit pas d’opposer le repos à l’action mais d’unir une activité à une autre « pour que l’homme ne soit pas borgne » disait saint Grégoire de Nazianze qui utilise aussi l’image des deux montants de la porte pour entrer dans le Royaume des cieux.
« Si tu étais dans un ravissement comme saint Paul, et qu’il y eût un malade ayant besoin d’assistance de ta part, je pense, disait Maître Eckart, qu’il serait mieux que tu quittes par amour le ravissement et serves le nécessiteux en plus grand amour ». Ce n’est pas quitter Dieu que de quitter Dieu pour Dieu. Ce serait le signe que c’est le Christ qui vit en toi.
Que t’est donnée ce que saint François de Sales et sainte Marie de l’Incarnation appellent ‘l’extase d’action’ pour reconnaître Dieu en tes frères : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20).
Mes amis, la mission de l’Eglise est de vous prévenir que si nous ne laissons aucune place dans notre vie au silence et à la prière, nous n’entrerons pas dans la vie divine.
L’écoute priante (il suffit d’écouter les lectures à la messe : il n’y a pas besoin de savoir lire) et la méditation, la ‘rumination’ de la Parole de Dieu (une phrase suffit : ce n’est pas affaire de quantité), est le chemin de la Sainteté.
La Sainteté, « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).
Deux voies y conduisent. La première d’ordre psychologique est la contemplation (elle est ‘psychologique’ au sens où cette connaissance est une expérience intérieure dont les contemplatifs sont les seuls témoins, même si elle s’appuie sur le fondement objectif du mystère chrétien qui en constitue le contenu). Sachant, comme l’écrivait le cardinal Daniélou à propos de saint Grégoire de Nysse que « les grâces mystiques ont une fin apostolique ».
La seconde voie d’accès à la connaissance de Dieu est sacramentelle et liturgique : elle se trouve dans l’Eucharistie.
Qui a elle aussi une fin apostolique qu’expriment les autres formules d’envoi que « Allez dans la paix du Christ » : « Allez en paix, glorifiez le Seigneur par votre vie ». Et surtout : « Allez porter l’Évangile du Seigneur ».
C’est ce qu’ont fait tous les Saints et les Saintes de Dieu : ils sont allés porter l’Évangile du Seigneur.