La Passion du Christ, disait un religieux du 17ème siècle, est « la valeur suprême qui authentifie la prière chrétienne ». Saint François (d’Assise) conseillait de l’étudier jour et nuit : la Passion du Christ.
Saint Luc dit qu’on avait emmené avec Jésus deux malfaiteurs. « Lorsqu’ils furent arrivés au lieu-dit : Le Crâne (ou Calvaire), ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ». Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort. Le peuple restait là à observer » (Lc 23, 33-35). Le récit est très visuel, construit ensuite comme un long plan cinématographique qui part de nous, du peuple : le peuple, les chefs, les soldats, les malfaiteurs, Jésus.
Les chefs sont au premier rang : on entend leurs ‘petites phrases’, leurs moqueries si contraires à leur devoir d’exemplarité. Les soldats prennent le pas, s’engouffrent dans ce qu’il peut y avoir de plus mauvais en nous, avant que l’image se porte sur l’inscription posée au-dessus de Jésus, qui indiquait le motif de sa condamnation : « Celui-ci est le roi des Juifs » (Lc 23, 38). Saint Matthieu ajoute le nom de Jésus’ : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (Mt 27, 37) parce que ‘Jésus’ signifie ‘Sauveur’.
Le plan s’élargit aux deux malfaiteurs dont les quatre évangélistes s’accordent pour dire qu’ils étaient placés de chaque côté, Jésus au milieu.
On a alors trois plans ou arrêts successifs, d’abord sur un côté le premier malfaiteur jusqu’au-boutiste, puis de l’autre côté le deuxième qui commence par lui répondre pour s’en démarquer, avant de se tourner vers Jésus avec cette parole vraiment inspirée : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ». Aujourd’hui, avec moi, dans le Paradis.
Jésus répond ce qu’il a toujours enseigné : le Royaume est présent au milieu de vous (Lc 17, 21).
Au milieu de nous, le Christ, disait un théologien adepte de l’engagement dans le monde (le Père Marie-Dominique Chenu o.p.), est présence et rupture.
Il est une présence qui rassemble, ce que nous attendons d’une royauté, qu’elle unifie, et une rupture qui est le contraire de ce que nous espérons d’un roi : nous attendons une continuité, la poursuite ou la reprise d’un ordre ancien, et le Christ nous appelle au contraire au changement, à la conversion, la rupture avec déjà l’idée que nous nous faisons de Dieu, ainsi que les prophètes l’avaient annoncé : Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair (Ez 36, 26).
Ce cœur de chair est le Cœur sacré de Jésus. Saint Jean dit de ce Cœur transpercé sur la croix qu’« il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19, 38), les sacrements de l’Eglise.
Saint Luc, après la réponse de Jésus au bon larron, laisse place à l’obscurité qui se fit sur toute la terre, pendant trois heures. Trois heures en Croix, de midi jusqu’à trois heures.
Pour méditer la Passion du Christ, comme l’Eglise et la Tradition l’ont toujours recommandé, il y a le chapelet, les mystères douloureux du Rosaire, que personnellement je prie le lundi, le mercredi et le vendredi, les mystères lumineux le mardi et le jeudi, pour laisser les mystères joyeux et glorieux au samedi et au dimanche.
Je vous assure que lorsque l’on médite régulièrement la Passion du Christ, chacun suivant ses possibilités, mais au moins chaque vendredi – pas de dimanche de la Résurrection sans vendredi de la Passion, on n’a plus les mêmes questions sur le mal et la souffrance.
Vous savez : toutes ces questions dont nos esprits, la raison humaine est si prompte à s’emparer pour justifier qu’on s’éloigne de Dieu.
L’ancien aumônier des Pompiers de Paris, qui s’était illustré lors de l’incendie de Notre-Dame, et qui était présent au Bataclan, disait dans un entretien récent, en termes assez rugueux : « pour moi, les attentats sont la réalité du péché originel. (…) Qu’on meure maintenant ou demain, qui peut rajouter une coudée à sa vie ? On est juste des pèlerins sur la Terre et cette notion de pèlerinage est une manière d’aborder plus sereinement un certain nombre de choses sans être tout de suite dans l’hystérie » (le mot est impropre).
Présence et rupture. Le Christ est présent dans toutes les souffrances que nous vivons pour les avoir vécues dans sa chair, et le 5ème mystère douloureux, la Crucifixion est l’occasion de reprendre, à chacun des dix Ave, les sept paroles du Christ en Croix, huit en dédoublant la parole de Jésus à sa Mère, Voici ton Fils, et au disciple qu’il aimait, Voici ta Mère, auxquelles on ajoute son dernier Cri, que saint Thomas d’Aquin considérait comme un miracle, où chacun entend ce qu’il veut, et le 10ème Ave recueille la parole du centurion : Vraiment, Celui-ci était le Fils de Dieu (Mt 27, 54).
C’est en 1789 que l’on commença à Rome, à l’église du Gesù, la pratique de « la dévotion aux trois heures d’agonie de Jésus » à partir du livret publié un siècle plus tôt à Lima par un jésuite péruvien (Alphonse Messia Bedoya). A l’approche de la fin, on récite le Credo et on termine par un acte de contrition.
Toutes les questions que nous posons sur le mystère du mal, de la souffrance dans le monde et dans nos vies, trouvent leur réponse dans l’amour de Dieu pour nous. Il s’est fait péché pour nous, dit saint Paul
Le Christ a porté nos souffrances, 4ème mystère douloureux, le portement de la Croix, pleurant sur nous, pas sur lui-même, sur nous : le Christ portant sa croix dit aux femmes qui se lamentaient : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! » (Lc 23, 28).
Avec cette parole prophétique : « Si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? » (Lc 23, 31). Si l’on traite ainsi le Roi de l’Univers, que deviendront vos royaumes de la terre, vos pouvoirs terrestres ? Ne finirez-vous pas par vous entretuer ?
Un auteur spirituel faisait dire au Seigneur : Que m’importe que vous soyez capables de ressusciter les morts si vous n’êtes pas capables de maîtriser votre colère ?
Saint Paul met en garde : « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, vous allez vous détruire les uns les autres » (Gal 5, 15). « Je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint ».
Présence et rupture. Il nous faut rompre, nous détacher chaque jour de ce qui nous divise et revenir à Dieu, pour nous unir au Christ Sauveur. Pour ouvrir notre cœur à son Cœur.
Pas de dimanche de la Résurrection sans vendredi de la Passion. Pas de Pâques sans Passion. Présence et rupture.