Le personnage principal du temps de l’Avent est le Saint-Esprit. D’où Jean-Baptiste. D’où la Vierge Marie. D’où le prophète Isaïe, dont nous avons en 1ère lecture la base des sept dons du Saint-Esprit, aussi importants pour nous que les Dix Commandements. La sagesse. L’intelligence. Le conseil. La force. La science. La piété (ou la pitié, même racine). La crainte du Seigneur (le sens de la grandeur de Dieu).
Vous remarquerez leur caractère personnel : ils ne sont pas de nature sociale comme la pauvreté, la chasteté et l’obéissance ; ils disent que le chemin vers Dieu est adapté à chacun.
Que retenir des commentaires innombrables (on peut à peine l’imaginer) qu’en ont donnés les auteurs spirituels tout au long de l’histoire ? Que ces dons du Saint-Esprit nous rendent humains en nous aidant à trouver la juste place dans notre vie intérieure de notre affectivité.
Je vous ai proposé pour ce temps de l’Avent, pour préparer Noël, pour méditer et approfondir le mystère de l’Incarnation qui va bien au-delà de la seule naissance de Jésus, de reprendre sur un plan spirituel les quatre âges de la vie : l’enfance, la jeunesse, la maturité et le grand âge.
La jeunesse est un âge critique, sous la pression de l’affectivité et de l’appel au dépassement de soi, de la sexualité et de l’affirmation de soi. Du temps de Jésus, la jeunesse était courte durée, pour Jean-Baptiste elle fut au désert et de grande austérité. Ses parents, Elisabeth et Zacharie, étaient très croyants et très âgés. L’évangile de saint Luc dit que Jean est allé vivre au désert, probablement dès l’âge de douze ans, ce qui ne signifie pas qu’il y vécut seul, parce que personne ne vit seul au désert longtemps. Il y eut des maîtres et il s’y fit des disciples.
Quand saint Bernard de Clairvaux entre en 1112 à l’abbaye de Cîteaux, il a vingt deux ans, il emmène avec lui plusieurs de ses frères, une trentaine de compagnons le suivent, conquis par son ascendant. Ce n’est pas pour rien qu’on le considère comme le dernier des Pères de l’Eglise, modèle de celui qui savait soumettre les sens à la raison et la raison à la Révélation.
Un des génies du XXème siècle, le mathématicien Alexandre Grothendieck (1928 – 2014) a raconté son itinéraire dans La Clef des Songes ou Dialogue avec le Bon Dieu (Editions du Sandre 2024). Fils de deux révolutionnaires athées, qui le laissent de ses 6 à 11 ans à la garde d’un maître d’école de Hambourg pour aller faire la guerre d’Espagne qui marquera la fin de leurs illusions, Grothendieck devient soudainement à 16 ans ‘déïste’ devant l’existence évidente d’un Dieu Créateur, qu’il voyait « se manifester par des œuvres grandioses remontant à la nuit des temps ».
Nous sommes en 1944, son père meurt en déportation, il ne l’apprendra que plus tard, il a 16 ans, il se considère déïste mais non croyant car, dira-t-il, ce Dieu était « très loin du Dieu de la Promesse et de la Rétribution dont parle l’Ancien Testament ou du Père proche et aimant dont nous parlent les Evangiles » (p. 107). Cette révélation reste en effet sans effet : « C’est comme si j’avais décidé d’avance que ma vie intérieure et mon évolution spirituelle n’en seraient pas affectées ». Il impute cette décision au « conditionnement idéologique me venant de mes parents ». C’est bien sûr toujours la faute des parents.
Son autobiographie, assez fouillis, est remarquable dans la façon dont quarante ans plus tard il analyse cette décision prise dans sa jeunesse, quand il a accédé à l’évidence d’un Dieu créateur, de décréter que cela ne le concernait pas. Au contraire il s’est lancé « à bride abattue dans la recherche mathématique, lui consacrant pendant vingt-cinq ans la totalité de (son) énergie disponible ».
Le chapitre s’intitule : ‘L’appel et l’esquive’. Alexandre Grothendieck relate l’appel qu’il reçoit de Dieu et auquel il ne répond pas, entrant « dans une longue période de stagnation spirituelle » qui cessera, dit-il au chapitre suivant (intitulé ‘Le tournant – ou la fin d’une torpeur’), « le jour où la méditation est entrée dans ma vie, c’est-à-dire une véritable réflexion sur moi-même, sous l’impulsion d’une soif de connaissance que n’inhibe ni peur ni vanité » (p. 122).
Il reconnaît entre les lignes que son génie le rendait invivable, pour lui-même et pour les autres. La Tradition a vu dans pareille gloutonnerie de savoir, d’une science détachée de l’amour, ce que la 1ère Lettre de saint Jean appelle la convoitise des yeux. « Tout ce qu’il y a dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’orgueil de la vie –, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde » (1 Jn 2, 26). Avoir, savoir, pouvoir.
Souvenez-vous, si vous l’avez passée, de votre jeunesse, du choix difficile entre désir d’absolu et l’esprit du monde. De quoi rêviez-vous à quinze ans ?
Saint Pierre Favre (1506 – 1546), qui fut le premier prêtre jésuite, décida à 12 ans, après avoir fait l’expérience de Dieu à 7 ans lors de sa 1ère communion, de donner la priorité au seul principe d’unité de notre vie sensible, affective et spirituelle : la collaboration de notre cœur à la volonté de Dieu.
La jeunesse est un âge critique dans le conflit entre notre cœur et notre corps, qui se transforme et veut le pouvoir, dans la façon dont plus que notre affectivité, le besoin de reconnaissance envahit et déséquilibre notre vie. Souvenez-vous.
La plus haute de nos facultés est l’intelligence qui dirige notre volonté, mais la plus haute des vertus est la charité.
C’est l’intelligence qui nous indique les passions à vaincre, les vertus à admirer et pratiquer, la différence entre les affections qui relèvent de notre sensibilité et les plaisirs de la sensualité.
Seuls nous sauvent alors les dons du Saint-Esprit : la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, le discernement, la prière et l’adoration de Dieu, dont on en connaît également les fruits (Gal 5, 23) : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, humilité, douceur et maîtrise de soi.
C’est autrement plus beau que le mépris de soi : la maîtrise de soi. Je vous parle des âges de la vie spirituelle : après l’âge de raison de l’enfance, la jeunesse spirituellement est faite pour accéder à la connaissance de soi. Pas de connaissance de Dieu sans connaissance de soi.