Merci Seigneur pour l’amitié !

J’espère que cet été vous aura permis de retrouver des amis. Retrouver est le mot tant il faut du temps pour devenir des amis. J’ai demandé aux amis chez qui j’étais de quand dataient leurs plus vieux amis, et je sursaute toujours quand c’est du jardin d’enfants : ‘On ne s’est jamais perdus de vue’ ! Pour une autre (nous étions quatre), aucun ami avant les études à la fac, aucune trace de l’enfance, dans une autre ville, presque une autre vie.

L’amitié est la première question posée au Pape Léon lors de la veillée de prière pour le Jubilé des Jeunes début août : « Nous rêvons souvent d’avoir beaucoup d’amis et de créer des relations étroites, alors que nous faisons de plus en plus souvent l’expérience de différentes formes de solitude. Nous sommes proches et connectés à tant de personnes, et pourtant, ces relations ne sont pas véritables et durables, mais éphémères et souvent illusoires. Saint-Père, comment faire ? ».
Le Pape Léon a cité saint Augustin dont il est très proche, et qui a eu une influence décisive sur la conception chrétienne de l’amitié, assez différente des philosophes grecs, en ceci que nous lui donnons une valeur spirituelle. Pour saint Augustin, le docteur de la grâce, et l’amitié en est le lieu par excellence, “Il n’y a pas d’amitié authentique si elle n’est pas en Christ. Et la véritable amitié est toujours en Jésus-Christ, avec vérité, amour et respect – Et ce n’est qu’en Lui qu’elle peut être heureuse et éternelle” (cf. Réfutation De deux lettres des Pélagiens, I, I, 1).« C’est aimer véritablement un ami, que d’aimer Dieu en lui » (Sermon 336, 2) dit saint Augustin.

Saint Augustin à vingt ans a vécu une amitié très forte. Il était un peu débordé par ses talents, son intelligence, ses désirs, il était persuadé d’avoir raison, et il cherchait à entraîner son ami à penser comme lui. Cet ami tombe malade et sur le point de mourir reçoit le baptême pour recevoir le pardon de ses péchés. Il se rétablit. Augustin lui rend visite et se moque. Son ami lui répond que si Augustin veut être son ami, il doit cesser de se moquer de sa foi. Deux jours passent. Son ami meurt. Le choc est terrible pour Augustin qui raconte l’immensité de sa peine (au chapitre 4 du quatrième Livre des Confessions). Des années et des années après sa conversion Augustin prendra conscience de la mauvaise influence qu’il avait failli avoir sur son ami et il rendra grâce à Dieu de les en avoir sauvé. Il en retirera que l’amour de Dieu doit ordonner toutes nos affections : l’amour est vrai s’il nous amène à Dieu.
« Considérez l’amour, dit-il dans une homélie (Sermon 125), n’est-il pas comme la main du cœur ? Si cette main tient un objet, elle ne saurait en tenir un autre, et pour recevoir ce qu’on lui donne, il faut qu’elle laisse ce qu’elle tient. Eh bien ! celui qui aime le siècle ne saurait aimer Dieu, car il a la main pleine. Prends ce que je te donne, dit le Seigneur. Mais il ne veut pas jeter ce qu’il avait à la main ; et il ne saurait recevoir ce qu’on lui offre ».
On peut l’entendre aussi comme la nécessité de savoir qui nous tient la main, qui nous emmène et où ?
Il y a dans les Confessions de nombreuses relations d’amitié qui mêlent le pire et le meilleur. Augustin raconte par exemple qu’avec des amis ils avaient volé une énorme quantité de poires à un voisin, et c’est longtemps après qu’il s’est rendu compte qu’il voulait gagner leur estime, montrer qu’il était capable comme eux de s’affranchir des lois et de dominer les autres. L’amitié peut être une école de vertu ou de vice. 

Au 12ème siècle, saint Aelred abbé de Rievaulx en Angleterre, le ‘saint Bernard anglais’, a écrit un Traité sur l’Amitié spirituelle où il met en garde contre ce qu’Aristote appelait des ‘amitiés artificielles’, distinguant trois types de fausses amitiés : puériles, nuisibles, utilitaires.
Saint Aelred donne une liste de cinq types de caractères à éviter : les colériques, les indiscrets, les instables, les pipelettes (à cancans), les soupçonneux : ceux-là sont peut-être les pires car il ne peut y avoir d’amitié sans bienveillance. Une fois qu’on les a écartés, seul le temps permet de vérifier les quatre qualités d’un ami : il est fidèle, droit, discret, patient.

Ajoutons ce qui fait qu’une amitié peut être vraiment ‘spirituelle’, et le rester, ne pas se perdre dans une affectivité excessive : la conscience du surnaturel. « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » écrit Montaigne, tout imprégné de christianisme, à propos d’Etienne de La Boétie, auteur d’un livre génial écrit à l’âge de seize ans : le Discours de la Servitude volontaire, un des ouvrages les plus intelligents sur le chemin difficile de la liberté. La soumission est au départ confortable et volontaire.

Un autre auteur anglais, du siècle dernier, C. S. Lewis (Clive Staple Lewis), l’auteur de la Tactique du Diable, et du Monde de Narnia, a cherché à définir « Les quatre amours » (The Four Loves, 1960) : l’affection, l’amitié, Eros, Agapè. Je vous conseille uniquement le chapitre sur l’amitié. Il dit que sa matrice est la camaraderie, une activité commune. Un faire ensemble. Que ce soit dans une passion, des voyages, des vacances, indispensables pour que cette amitié vive et grandisse. J’espère que vous l’avez vécu cet été.

Je m’interrogeais en y pensant sur le lien de l’amitié à la famille : comme si l’ami faisait partie de la famille, ou disons que l’amitié vient toujours nous rejoindre dans notre histoire. 

C’est ainsi que je vous propose d’entendre la vision de l’évangile de ce dimanche où toutes ces nations qui affluent de partout se rejoignent dans une même foi en l’amour de Dieu, pours’unir et partager l’amitié qui fonde toutes les autres, l’amitié divine. Elle dépend de notre réponse personnelle à l’appel du Christ. Il nous choisit pour être ses amis.

La porte étroite est celle de la véritable amitié. 

Elle ouvre sur un monde dont la beauté ne cesse et ne cessera de nous émerveiller.

Merci Seigneur pour l’amitié !

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