Deux hommes seront aux champs, l’un sera pris, l’autre sera laissé, deux femmes en train de moudre au moulin, l’une sera prise, l’autre sera laissée. Celui ou celle qui sera laissée restera sur terre, pourrira sur place : de ces deux hommes, deux femmes, rien d’extérieur ne les différencie. Le critère sera celui de notre vie intérieure, de notre amour de Dieu.
Pour nous préparer à Noël, au mystère de l’Incarnation, je voudrais, pour ces quatre dimanches de l’Avent, reprendre les quatre âges de la vie, l’enfance, la jeunesse, la maturité, le grand âge, d’un point de vue spirituel. En sachant que nous ne vivons bien ces âges que si nous gardons, une fois passés, ce qu’ils nous ont donné de meilleur, si nous veillons à anticiper ce qui sera en fin de compte l’aboutissement et l’accomplissement de notre vie : la rencontre de Dieu.
C’est vrai de tout âge : on sait qu’on va en sortir et on se doit d’en prendre le meilleur.
Que faut-il garder spirituellement de l’enfance ?
Les réponses sont multiples, la capacité d’émerveillement, la découverte du monde, le sens spontané de la grandeur des tout-petits, la dépendance à ceux qui nous aiment, un mélange de désir de confiance et de naturelle insouciance …
L’Ecriture met au cœur de l’enfance la sagesse, le 1er don de l’Esprit, la capacité de discerner entre le bien et le mal, ainsi qu’on le lit dans le 1er oracle de l’Emmanuel au Livre du prophète Isaïe : « Voici que la Vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel c’est-à-dire : Dieu-avec-nous. De crème et de miel il se nourrira jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien » (Is 7, 15).
D’où l’ancien nom donné à l’âge de raison d’âge de discrétion au sens de discernement, qui est un autre don de l’Esprit-Saint le don de science. Est discret celui qui fait attention, et qui apprend, des autres et de la vie. Cet âge de raison peut apparaître très tôt chez l’enfant, sainte Thérèse de l’enfant-Jésus dit pour elle à trois ans, puisqu’elle parle de quatre ans « depuis l’éveil de ma raison jusqu’à la mort de ma mère » (quand elle a sept ans). L’âge de raison est lié à l’usage de la parole. Même si on l’a communément fixé à six ou sept ans, qui était dans la tradition latine l’âge de la Confirmation, avant de devenir celui de la 1ère Communion : l’union au Christ, le Verbe de Dieu, le logos du Prologue de saint Jean qui est l’évangile du Jour de Noël.
Nous verrons dans la nuit de Noël la façon dont, dès sa venue en ce monde, le Fils de Dieu a vécu à part : il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Il a vécu à part pour nous montrer la nécessité de protéger notre plus grande richesse, notre vie intérieure. Mystérieuse vie intérieure des enfants qui jouent et se parlent tout seuls. Nous entendrons comme chaque année que Marie sa mère, après l’avoir mis au monde, « l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire » (Lc 2, 7) : elle l’emmaillota de toute sa tendresse maternelle.
Puisque le Christ lui-même parle de la nécessité de ‘naître à nouveau’ (Jn 3, 3), si c’était à refaire, et que vous puissiez choisir les conditions de votre naissance, que choisiriez-vous : une famille riche ou des parents humbles et affectueux ? Les deux ? C’est difficile, humbles et riches.
Pour venir en ce monde, Dieu a voulu pour mère « une jeune fille vierge » qui s’était consacrée à Lui, « je ne connais pas d’homme » (Lc 1, 34) dit-elle alors qu’elle était fiancée, cela n’existait pas jusqu’alors, ni d’ailleurs après, Vierge et Mère, comme il n’est arrivé qu’une seule fois dans l’Histoire que Dieu se fasse homme, pour grandir humainement, « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 1, 52), Lui l’Amour éternel de Dieu, enfant auprès de ses parents « il leur était soumis ».
C’est maintenant, en ce temps de l’Avent, pas dans la nuit de Noël, que je vous propose de vous souvenir de votre enfance, des dix premières années de votre vie, de la façon dont la tendresse de Dieu, l’amour s’est manifesté à vous, plus ou moins clairement et abondamment.
Il n’y a pas de lien direct entre enfance heureuse et moralité : il y a un lien entre stabilité et intériorité, sécurité et protection de l’enfant des caprices des autres et de ses propres caprices, pour lui apprendre à vivre avec lui-même et avec les autres.
Lui apprendre à s’exprimer, à entrer en relation, à communiquer, à faire un bon usage de son intelligence comme le dit Isaïe dans la 1ère lecture : « De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles » (Is 2, 4) : Dieu nous a donné une intelligence pour nous nourrir et nous entraider.
Saint Thomas d’Aquin, dans un texte étonnant, affirme que tout être humain, même élevé sans contact avec l’Eglise, opte à l’âge de raison, à partir du moment où il « commence à avoir l’usage de la raison », soit pour Dieu soit contre Dieu, et il ratifie dans ce deuxième cas le péché originel par un péché personnel (Cf. Somme Théologique Ia IIae Q. 89, art 6). Ce n’est pas au moment de la mort : c’est à l’âge de raison. Tout le reste de sa vie lui est donné pour assumer ou modifier ce choix. L’exemple de ses parents est prépondérant, non déterminant : c’est dans le secret du cœur que se fait le désir d’union à Dieu. Souvenez-vous de cet appel intérieur. Il dure toute la vie.
Dieu appelle tous les hommes, tous les êtres humains à la foi, à croire en Lui, et il leur donne la grâce suffisante pour y parvenir, quelle que soit leur position dans l’histoire ou dans l’espace (l’Eglise l’a affirmé solennellement au Concile de Trente), et il demande à chacun de consentir aux inspirations de la grâce et d’y coopérer.
La nuit de Noël est une nuit calme, de silence paisible, symbole de ce qu’est dans la prière l’intimité de Dieu.
Que nous l’ayons ou non connue dans l’enfance, cette grâce est le signe de notre liberté, au-delà de tout pouvoir d’agir à notre guise, la liberté intérieure de vouloir ce que Dieu veut.
Un axiome catholique dit que le commencement de la foi est dans l’amour, et un autre que Dieu ne refuse pas sa grâce à celui qui fait un bon usage de ses dons. Il n’est jamais trop tard : la naissance de Dieu en nous est l’histoire de notre vie.